Voila une histoire ordinaire des écueils du mélange concubinage et indivision, que nous raconte doucement la Cour de Cassation (Ch civ 1, 20 octobre 2021, 20-11.921, Publié au bulletin).
Une histoire qui arrive à Monsieur et Madame Tout-Le-Monde, puisque 21% des couples de France vivent selon les règles du concubinage. Couples qui combinent majoritairement concubinage et indivision.
Ce qu’il y a de bien avec les règles du concubinage, c’est qu’il n’y en a pas.
Ce qu’il y a de mal avec les règles du concubinage, c’est qu’il n’y en a pas.
Ceci est d’autant plus susceptible de se produire que le concubinage est plus fréquent dans les plus jeunes tranches de la population (cf graph. INSEE à droite).
Intéressant lorsque l’on sait que l’âge moyen du premier achat est de 32 ans.
Voilà donc l’histoire ordinaire de Monsieur V et Madame Y, ce couple que l’on connaît tous.
Les faits
Concubinage et indivision quand tout va bien
Monsieur V et Madame Y vivent en concubinage. Rien de très extraordinaire, comme nous venons de le voir.
Ils acquièrent en indivision un bien immobilier, chacun pour la moitié, qu’ils financent au moyen d’un emprunt, solidairement entre eux. Ils s’assurent chacun, notamment, en invalidité pour la totalité du montant emprunté.
Chacun contribue au remboursement de l’emprunt sur ses revenus.
Toujours la plus banale normalité. Et, comme dans toute histoire ordinaire, ils vivent heureux.
Mais pensons toutefois à jeter un œil aux alertes patrimoniales pour une acquisition immobilière, la suite va nous montrer que c’est une bonne idée.
Concubinage et indivision quand ça va moins bien
Tout va donc bien dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où Monsieur V devient invalide suite à un accident. Il se tourne alors vers son assurance, afin qu’elle exerce sa prestation contractuelle : prendre en charge le versement de la totalité des mensualités du prêt contracté solidairement par Monsieur V et Madame Y.
Nous sommes dans une histoire qui se passe bien, rappelons le, donc l’assureur intervient sans difficultés conformément à ses obligations. Les mensualités de l’emprunt sont prises en charge en totalité par l’assureur. De telle sorte que les concubins n’ont plus à s’acquitter du moindre centime à ce titre. Pour le moment, concubinage et indivision, ça va toujours bien.
L’histoire s’assombrit lorsque le couple se sépare et que le bien immobilier est vendu. Quid alors du prix de vente ?
La procédure
Les moyens introduits
Monsieur V tente en première instance, puis en appel (arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d’appel d’Angers 1re chambre, section B), de faire reconnaître une dette de l’indivision à son profit, du chef de la prise en charge par l’assureur des mensualités de l’emprunt suite à sa propre invalidité.
Il estime que le financement par l’assurance emprunteur est de son seul fait et demande donc la reconnaissance de sa créance sur l’indivision.
Débouté de ses demandes quant à la prestation de l’assurance emprunteur, il se pourvoit en cassation.
Notons qu’à titre accessoire au thème qui nous intéresse, Monsieur V avait introduit dans son pourvoi un moyen concernant l’acquittement des primes de l’assurance habitation du bien. Sur le fondement de l’article 815-13 du Code Civil, la Cour écarte le moyen et confirme donc l’arrêt d’appel : les primes d’assurance habitation versées par le seul Monsieur V sont incorporées au passif de l’indivision.
Le principal moyen introduit prétendait que la prestation d’assurance ne déchargeait pas Madame Y de sa part contributive au remboursement de l’emprunt, sur le fondement des articles 1121 et 1213 du Code Civil, dans leur rédaction antérieure à 2016.
La décision de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation, fonde le rejet du pourvoi sur l’article 815-13 du Code Civil :
Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés.
Inversement, l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute.
Le diable se cache dans les détails, y-compris dans les histoires ordinaires. Monsieur V a-t-il réglé les mensualités “à ses frais” ou “de ses deniers personnels”, à partir du déclenchement de la prestation d’assurance ?
Evidemment non puisque c’est l’assurance qui a réglé directement la dette à la banque prêteur. Monsieur V ne peut donc pas se prévaloir de son appauvrissement personnel au profit de l’indivision. D’où le rejet du pourvoi.
On peut comprendre le point de vue de chacun des concubins
- Monsieur V : se retrouver invalide et provoque indirectement l’enrichissement de sa partenaire de vie, sans qu’il n’en soit comptable, voilà une situation qui peut rendre amer.
- Madame Y et les juges : reconnaître que l’on peut devoir quelque chose à un tiers, mais sous réserve que ce tiers se soit appauvri.
Précisons que le préjudice évoqué ici reste minime (environ 8 000€), la situation n’ayant duré que 12 mois. Mais imaginons ce qui se produirait sur une plus longue période : un concubin s’enrichissant suite à l’invalidité de l’autre, pour quelques dizaines voire centaines de milliers d’euros.
Conclusion
Nous venons de voir comment une histoire très banale peut devenir un vrai casse-tête dès que la situation se complique.
C’est très fréquent, lorsque l’on évoque les sujets civils, que les parties se pensent – à tort – protégées par la loi. La présente histoire ordinaire, mêlant concubinage et indivision, est là pour nous le rappeler.
C’est donc valable pour le couple, l’acquisition immobilière, la contraction de dettes et l’indivision, comme dans le cas d’espèce.
Mais aussi pour les autres situations où le Code Civil intervient : transmission de son patrimoine, succession, gestion d’un bien immobilier, etc. C’est-à-dire à chaque moment de la vie quotidienne.
Il existe des solutions pour sécuriser sa situation civile. Parlons-en avant qu’il ne soit trop tard.